Réflexion sur les JO 2024
Il faut saluer comme il se doit , résultats les combattants qui ont mis toute leur énergie à conquérir leurs médailles. Cela ne doit pas nous empêcher de prendre du recul et d’analyser les dérives du judo de compétition, qui rejaillissent inévitablement sur la pratique en club .
Globalement : il y a eu durant ces jeux peu de ippon « sec »c.a.d de projections comptées « ippon » et beaucoup de combat, ont été gagné par disqualification (plus de 800 shido sur 400 combats).
D’autre part la plupart des Ippon sont en fait 2 Wazari médiocres consécutifs qui aurait été comptabilises « koka » (plus petit avantage) avec les l’anciennes règles d’ arbitrage !
Un exemple : en -60 kg seulement 8 ippon ! dont 3 du japonais.
Enfin beaucoup de combat se soldent par la disqualification de l adversaire
Comment expliquer ces phénomènes ?
Peu de ippon : Il est vrai qu’un ippon, c est à dire une projection sur le dos, contrôlée et effectuée avec force et vitesse est très difficile à obtenir, d’autant plus que les combattants sont passés maîtres dans l’art de se retourner au dernier moment. Il est donc plus rentable de chercher le « waza ari » grâce à accrochage médiocre . Du coup, quel est l’intérêt d’apprendre à projeter correctement ? De plus il est aujourd’hui très risqué de tourner le dos car le moindre contre sur le quart de la moitié d un flan rapporte un Waza-ari. Et ce contre peut être enclenché même si Tori est à plat ventre ! (autrefois non comptabilisé)
La conséquence est que l’attaquant, dès qu’il sent un une résistance, plonge à terre en écartant au maximum bras et jambes ou, plus simplement, attaque en restant de face d’où la prolifération de tomoe nage et autres Kata guruma.
De la même manière, la tactique consistant à se jeter à genou, sur le ventre ou sur le dos, permet de donner l’illusion d’un seoi-nage d un Kata-guruma ou un tomoe-nage.
Malheureusement toutes ces fausses attaques sont crédités au bénéfice de l’attaquant et au détriment de Uke qui écope rapidement d’un shido pour non combativité. Et au bout de trois shido, au revoir ! On assiste donc à la prolifération de tacticiens « zebulons bodybuildes hyper vitaminés » qui pourrissent les combats avec des simili d’attaques à répétition
Que faudrait-il faire pour revenir à une expression valorisant le vrai judo ?
1 débuter chaque phase de combat par une saisie conventionnelle (comme pour les para judo)
2 revenir à la progression yuko – Wazari – ippon
3 autoriser la saisie des jambes pour attaquer immédiatement (morote gari) pour contre (te guruma) ou pour contrôler une attaque
4 golden score : Ne pas Pénaliser la non combativité durant le Golden score mais limiter le combat dans le temps et rendre la décision obligatoire.
5 Pénaliser les fausses attaques à genoux (seoi nage), sur le dos (sumo gaeshi), ou à plat ventre (Kata guruma plongeant), sans aucune préparation ni déséquilibre (ce qui en théorie est déjà le cas). Cela limiterait les fausses attaque.
6 Ne pas pénaliser Uke lorsqu’il est dominé à la garde mais que Tori n’attaque pas.
7 Interdire les attaques qui partent du sol
8 Laisser travailler au sol ; Revenir sur de vraies immobilisations (les deux épaules au sol)
9 Autoriser une immobilisation à plat ventre (ce qui limiterait les fausses attaques à genou)
Il est malheureusement peu probable que ces règles soient jamais adoptées.
Petit récapitulatif des règles à observer quand vous faites randori avec vos petits camarade
Le randori occupe une place centrale dans la méthode développée par Jigoro Kano. Malheureusement, aujourd’hui, dans de nombreux dojos, le randori est considéré comme un mini- shiaï, en un peu moins intense. C’est là une double erreur. Tout d’abord parce que l’objectif du randori, à la différence d’un combat en compétition, n’est pas de gagner mais de tenter d’appliquer, en situation d’opposition, les techniques étudiées avec un partenaire consentant. D’autre part, transformer le randori en shäi, bloquer, refuser le combat, éviter la chute à tout prix, empêche de progresser et conduit droit à la blessure, ce qui est, bien entendu, fort éloigné de notre objectif.
Judo, sport et violence
Patrick Roux (cf lien ci-dessus), à la suite de la parution de son livre « le revers de nos médailles » vient d’être auditionné par une commission de l’assemblée nationale au sujet des violences, qui, malheureusement, se révèlent aujourd’hui dans de nombreux sports.
Mon propos, ici, n’est pas de réfléchir sur les « violences hors-cadre », j’entends par là les violences psychologiques, (harcèlement moral) ou physiques (viol par exemple) qui tombent sous le coup de la loi et doivent être éradiquées, mais plus précisément sur la violence, réelle mais dissimulée dans la pratique même de notre sport, et le visage ambigu qu’elle prend dès lors qu’on l’envisage dans des « sports de combat », ou des « arts martiaux ».
En effet, dans quelle mesure les termes de « combat » ou de « martial », ne font-ils pas écho, voire n’impliquent-ils pas la violence ? Peut-on imaginer un combat, une guerre, sans violence ?
Dans la mesure où les techniques de projection, de strangulation, ou de luxation sont, par nature, potentiellement dangereuses, ne seraient-elles pas inévitablement violentes ? Pour faire court, le judo ne serait-il pas, dans son essence, violent ?
Si tel était le cas, et certains utilisent cet argument pour légitimer leur comportement, un « certain degré de violence » devrait être accepter car « faisant partie du jeu ». Cet argument pernicieux fait parfois mouche sur le néophyte qui a du mal à distinguer la pratique « physiquement exigeante », de celle « dangereuse », voire, « violente ».
A mon sens, en premier lieu, tout est affaire de règles.
Le sport et les règles.
Sans règle, pas de sport. La sioule, ancêtre présumé du rugby, était un jeu qui consistait à opposer deux villages dans la possession d’un ballon que chaque équipe s’efforçait d’apporter en un lieu prédéfini. En l’absence de règles, les blessés étaient nombreux, et le jeu pouvait dégénérer en bagarres extrêmement violentes. Avec le temps des règles ont été mise en place, lesquelles ont évolué progressivement afin de garantir l’intégrité physique des pratiquants. Le jeu est devenu sport.
Le rugby d’aujourd’hui reste un sport dangereux du fait de l’intensité physique déployée, mais il n’est pas violent, à condition que les règles ne soient pas enfreintes. Une cravate est un coup porté à hauteur de cou. Il est sévèrement réprimandé, qu’il soit intentionnel ou non, car irrégulier.
De la même manière, c’est une erreur de qualifier la boxe de sport « violent » au prétexte que les coups visent la tête. Un uppercut est geste codifié dont l’objectif, accepté par les deux sportifs, consiste à frapper le menton de bas en haut. Il n’est pas, dans son essence, violent. Il le devient lorsqu’effectué dans des conditions qui sont interdites par les règles, après le coup du gong par exemple.
Qu’en est-il du judo ? De nombreuses règles ont été mises en place, avec pour objectif de sécuriser la pratique, et, par là même, éviter les dérives violentes.
Prenons l’exemple de l’étranglement. Lorsqu’un combattant se sent en danger de perdre connaissance, il a la possibilité de signifier son abandon en avertissant de la main son partenaire. Si ce dernier n’en tient pas compte et continue d’étrangler son adversaire, il y a alors violence à l’égard d’autrui. Uke a souhaité de manière non équivoque mettre un terme au combat et enfreindre la règle qui impose d’arrêter immédiatement l’action revient à le maltraiter intentionnellement.
Mais la règle peut changer.
Afin d’éclairer ce dernier point, il me faut ici rapporter une anecdote vécue au japon il y a bien longtemps : Lorsque je suis arrivé au japon pour la première fois, en 1981, j’étais, selon les standards hexagonaux en vigueur à l’époque, très fort au sol. J’ai vite déchanté. Je me souviens notamment de mes assauts avec le jeune Murakami. Du même âge et de même force nous rivalisions de testostérone et nos bastons n’étaient pas dénuées d’agressivité. C’était à celui qui ferait craquer l’autre, qui le forcerait à l’abandon. Jusqu’au jour où nous nous avons reconnu notre valeur réciproque. Peu après, Murakami m’invita à boire un verre et me dit en substance : « Frederiku-san, nous sommes amis maintenant. Je te propose donc de changer les règles. Désormais nous nous étranglerons (gaiement) jusqu’à ce que l’un de nous tombe dans les pommes ! Top là ! » En entérinant cette règle nous avons légitimé une pratique, qui l’instant d’avant, était prohibée et considérée comme violente et dangereuse à la fois !
Mais il arrive que tout en suivant les règles communes, la pratique devienne violente, parfois même à l’insu de Tori. C’est notamment le cas lorsqu’un trop grand écart de force physique sépare les protagonistes. On trouve souvent cet écart à l’adolescence lorsque certains sont déjà des adultes et d’autres, encore des enfants. La tentation est grande alors, pour les premiers, d’utiliser leur atout maitre, la force, pour projeter leurs opposants. Certes, les critères de la technique réussie sont réunis, l’adversaire est projeté avec force et vitesse sur le dos, mais il est projeté violemment, et la dissipation de la force fait résonner tout son corps quand un voile furtif ne vient pas troubler sa vision. Souvent l’entraineur lui-même est dupe et félicite le vainqueur qui a maltraité son partenaire.
C’est oublier qu’aucune règle ne peut évincer le principe fondamental du judo : « Meilleure utilisation de l’énergie ». Est-ce qu’utiliser un marteau pilon pour écraser une mouche, c’est pratiquer le judo ? NON !
Entrainer l’élève sur ce chemin revient à le tromper doublement. C’est, d’une part, en légitimant le recours à la force pure, l’entrainer dans la voie de la violence, et, d’autre part, le condamner à la médiocrité. Car les mécanismes de développement des capacités physiques sont connus, également partagés et utilisés par tous, ce qui fait qu’in fine, ce n’est pas la force qui fait la différence. Celui qui gagne au long cours, c’est celui qui aura à tout moment, à l’inverse, fait le choix de la faiblesse*. Il aura alors appris à substituer la technique à la force, car la technique, entendez le bon placement du corps au bon moment, ne consomme que très peu d’énergie mais décuple l’efficacité.
De tout ceci il découle que le judo, pratiqué dans le respect des principes est une activité non violente, mais que les règles en vigueur ne jugeant que le produit fini, et non la façon dont il a été obtenu, elles ouvrent la porte à la violence. Pour éviter cette dérive, il faudrait s’accorder sur le fait que c’est le processus qu’il convient de valoriser, non le résultat obtenu. Un adulte qui projette un enfant en utilisant sa force pure ne devrait pas se voir gratifier d’un ippon, quand bien même ce dernier est projeté sur le dos, car il ne fait alors aucune preuve d’adresse ni d’efficacité.
J’entends d’ici les cris d’orfraie de beaucoup. « Ce serait la porte ouverte à la subjectivité, à l’interprétation partiale ! Alors qu’une vidéo visionnée au ralenti ne ment pas !»
Sur le champ de bataille, peut-être…
Mais le temps n’est-il pas venu d’oublier notre versant martial, pour se concentrer sur l’art ?
Fred
*Cf Y.Cadot « Kano Jigoro et l’élaboration du judo »
Du Dojo au plus haut niveau, ayons l’ambition de l’excellence
« Le Judo est une culture qui se transpire de génération en génération »…
https://www.stagesjudo.org/l-ambition-de-l-excellence/
Réflexion après les Jeux Olympiques 2020
Les jeux sont terminés. Des centaines de judokas ont donné le meilleur d’eux-mêmes dans la discipline où ils excellent. Que nous a-t-il été donné de voir ?
- Beaucoup de « matchs » gagnés à l’épuisement, lors de « golden score » dantesques qui sont allés jusqu’à quadrupler le temps de combat total ;
- Enormément de fausses attaques. Peu de (vrais) ippon ;
- D’interminables batailles de kumikata, ponctués de pénalités ;
- Trop d’actions confuses valorisées par des waza-ari imaginaires.
Si l’engagement était présent, et il l’était, la magie du judo, elle, était absente. Comment l’expliquer ?
Il serait (trop) facile et injuste de mettre en cause les judokas, de critiquer leur attitude ou de mettre en doute leur niveau technique. J’ai peine à croire qu’un Ono, ou de nombreux autres judokas talentueux, se limitent volontairement à deux attaques en quatre minutes. L’enjeu stresse, c’est certain, mais il n’explique pas tout. A ce niveau de compétition, si un combattant n’attaque pas, c’est qu’il estime le ratio bénéfice/risque est défavorable. Et l’on doit alors se tourner vers l’arbitrage. Petit inventaire de ce qui ne tourne pas rond, à mon sens, dans l’arbitrage international :
- De gros koka valorisés ippon : on s’en souvient, il y avait autrefois une gradation dans les avantages. Tomber sur les fesses coûtait koka, sur le coté yuko. Etre projeter avec force et vitesse sur le dos était valorisé d’un ippon, qui, s’il était imparfait se voyait rétrogradé au rang de waza-ari. Aujourd’hui tout est équivalent, tout est comptabilisé waza-ari. Or waza-ari signifie littéralement « il y a technique ». Les règles actuelles en viennent donc à accréditer l’idée qu’il n’y a pas de différence entre, disons, un croche pied poussif, et une projection mal contrôlée. Pourquoi dans ce cas s’évertuer à appliquer (et même à apprendre !) des techniques complexes ? Complexes et hasardeuses, car projeter l’adversaire implique la plupart du temps de lui tourner le dos ce qui expose au contre, contre d’autant plus plausible que les actions qui partent du sol sont désormais comptabilisées !
- D’autre part, M. Zantaria ayant fait des émules, beaucoup de judokas sont de nos jours des gymnastes aguerris et les « réchap », qui sur la tête, qui sur le ventre, sont légion. Dans ce cas, l’action est tout bonnement ignorée. Cela est aberrant. En effet, satelliser un compétiteur de très haut niveau n’est pas donné à tout le monde. Cela implique de saisir le juste moment, d’exceller dans l’art du déséquilibre et du placement… Certes, s’il retombe sur le ventre le contrôle n’est pas parfait, ça ne vaut donc pas ippon, mais cela s’en approche. Et si l’on substituait au tatami amortissant l’asphalte d’un trottoir, dirait-on encore qu’il « n’y a pas technique » ?
Pour résumer, le compétiteur optimise ses chances de vaincre. Si, demain, le fait de poser une main au sol est sanctionné d’un hansoku-make, il va illico se transformer en sumotori.
- Une survalorisation du physique. Puisque attaquer est trop risqué, il est beaucoup plus rentable de miser sur la faute. La pénalité la plus courante étant celle pour « non combativité », laquelle, à ce niveau, pardonne rarement. Encore faut-il s’accorder sur l’évaluation de la « non combativité ». Imaginons qu’un boxeur coure autour de son adversaire à toute vitesse et qu’aucun coup de poing ne puisse alors être échangé, lequel des deux refuse le combat ? La « non combativité » et la « fausse attaque » sont en effet inextricablement mêlées. Enchaîner les fausses attaques dans le but d’empêcher l’autre de s’exprimer peut s’avérer stratégie payante si l’arbitre ne la dévoile pas. Doublement payante même, car si l’adversaire n’a pas le temps d’attaquer, il cesse par définition d’être dangereux. Il reste que cette stratégie est extrêmement consommatrice en énergie et requiert donc un physique hors norme. Et comme de plus en plus d’Hercules rencontrent de plus en plus de Titans bodybuildés, cela donne des matchs interminables avec très peu de réelles attaques.
- Le kumikata-strophique. Le kumikata, c’est l’art de saisir le judogi à son avantage. L’importance accordée à cette phase du combat est devenue disproportionnée. L’essentiel du temps de combat est passé à tenter de saisir l’autre. Or, là encore, il est difficile de distinguer l’art de saisir de l’art d’empêcher de saisir.
Pour conclure, si l’on conjugue « l’art d’empêcher de saisir » à « l’art d’empêcher d’attaquer » on aboutit à une vérité aussi incontournable que problématique : Les règles d’arbitrage autorisent, voire incitent, à gagner un combat de judo… sans faire de judo !
Les règles d’arbitrage façonnent le compétiteur et, malheureusement, orientent également l’enseignement de demain.
Reflexion sur les randorii